« Ils sont gentils, tous, mais ils comprennent toujours un peu trop tard… »

C’est la réflexion mi-amusée mi-amère que se fait le couple Carpita, Maguy et Séraphin dit « Paul » (son nom de résistant), une première fois en 68, quand Godard joue les révolutionnaires sur les marches de Cannes, puis en 89, quand la Cinémathèque française projette un film interdit en 1955 et tombé dans l’oubli qui se révélerait être « le chaînon manquant entre Jean Renoir et la Nouvelle Vague ».

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Il faut dire que la personnalité de l’auteur de ce film, le Rendez-vous des quais, ne facilitait pas sa reconnaissance à l’époque : Carpita est communiste, et de Marseille. Instituteur consciencieux, il met sa passion pour le cinéma, qu’il pratique en amateur depuis la Libération, au service de ses convictions politiques.

© Soleil/Quadrants

En 1953, il se lance dans la réalisation d’un long métrage qui raconte l’idylle d’un jeune couple marseillais en proie aux difficultés pour s’installer, sur fond de mobilisation ouvrière contre la guerre d’Indochine. Les conditions de tournage sont rocambolesques : avec les moyens du bord et sans autorisation officielle, Carpita et ses amis tournent leurs scènes en public, au nez et à la barbe des agents de police.

L’idéalisme de Paul va bientôt se heurter à la froideur des rouages politiques de l’époque, et d’abord dans son propre camp: le film subit en effet le recadrage du PCF qui n’apprécie pas certaines libertés prises par rapport à la propagande officielle, avant d’être frappé d’interdiction par la commission de contrôle des films au motif que sa projection serait de nature « à présenter une menace pour l’ordre public ».

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L’autre personnage principal de ce récit, c’est Marseille. Du Vieux-Port populaire des années 30 aux grands travaux de modernisation actuels, la cité est bien plus qu’une toile de fond ; son histoire tourmentée a façonné la vie et l’œuvre de Carpita. Le jeune Séraphin, fils d’une poissonnière et d’un docker, a assisté en 1943 au déplacement forcé (qui tournera à la déportation pour certains…) des habitants du quartier Saint-Jean puis à sa destruction, ordonnée par l’occupant nazi et exécutée avec zèle par les sbires de Vichy. Quelques mois plus tard il s’engage dans la Résistance au sein des F.T.P.

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Cet album, fruit d’une recherche documentaire fouillée – le travail de Pascal Génot et de Bruno Pradelle s’apparente à une enquête -, partage plus d’un point commun avec le sujet d’Un homme est mort, bien connu des Brestois. Olivier Thomas, dont les dessins sont mis en couleur par Pradelle, a su relever le défi d’un scénario qui impose de reconstituer des époques et des situations très différentes. Le trio avait déjà signé Sans pitié, polar en 3 tomes paru chez Emmanuel Proust entre 2005 et 2008, dont Marseille et son milieu fournissaient la matrice.

Malo.

Olivier est un habitué du festival; il sera présent les 3 et 4 mai prochain à Loperhet. A son propos, voir aussi nos chroniques de Dos à la mer et de Biribi.

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