Sur la couverture, la belle Fernande, modèle et amante de Picasso, s’esquive en couvrant d’un drap son corps nu; son regard est inquiet tandis que ses lèvres expriment plutôt une moue de déception.

© Dargaud

Quand on ouvre le livre, on tombe d’abord sur les yeux de Pablo figurés à grands traits – des billes d’agate vrillées par la passion -, puis en page de garde sur les bouilles stupéfaites du peintre et de son nouvel ami poète (Apollinaire). Enfin, la première planche présente pleine page le visage apaisé de Fernande, les cheveux défaits, les yeux fermés… avant le réveil.

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D’emblée  cet album surprend et captive. Quand on s’attaque à un tel sujet, il faut être capable de faire preuve d’originalité et le système narratif imaginé par Julie Birmant est à la hauteur du défi. Ainsi, les titres de la série (Pablo) et du tome (Apollinaire) ont vocation à surprendre le lecteur car ils ne désignent pas les protagonistes.

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Ce sont en réalité deux femmes qui dominent l’album: d’abord Fernande qui transmet sa vision de ce petit monde pittoresque, baignant dans une douce folie, où son compagnon de bohème peine à se faire un nom; jusqu’au jour où une collectionneuse américaine, Gertrude Stein, pénètre dans l’atelier du peintre. Cette femme plus âgée et laide est un bloc de détermination et agit sur lui comme une Gorgone. Commence alors un autre type de relation, non plus charnelle mais de l’ordre de la fascination, entre l’artiste et celle que Fernande, jalouse, qualifie de « Bouddha replet ». Le fruit de cette rencontre est un chef-d’œuvre bien connu.

Le dessin de Clément Oubrerie est toujours aussi expressif et dynamique, et ses planches sont magnifiées par la mise en couleurs de Sandra Desmazières (qui a aussi travaillé sur la série Pour l’Empire de Merwan et Vivès). La richesse de sa palette, alternant ambiances froides (promenade nocturne, atelier glacé en hiver) et teintes fauve (arène, cirque), confère à l’album une grande poésie.

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Cette histoire de regards – quoi de plus naturel pour parler de peinture ? – est une très belle réussite, et le plus bel hommage du 9ème art à la quête créative telle qu’elle se vivait au tournant du XXème siècle, depuis La Ligne de fuite de Dabitch et Flao.

Malo

(voir également la chronique du tome 1)

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