Nous avons eu la chance et le plaisir d’être accueillis par Emmanuel Lepage dans son repère costarmoricain, une maison de campagne qui fut celle d’un des ses aînés dans la profession, Christian Rossi.
Récit d’une visite qui tourne au voyage.

Il commence par nous guider dans une petite pièce, sous son atelier, pour nous montrer les planches qu’il avait sélectionnées à notre intention.
C’est une sorte de caverne d’Ali Baba que nous découvrons alors. Emmanuel en dévoile certains trésors, en toute simplicité, commentaires à l’appui. Le plus cher à son cœur est sans doute ce carnet de croquis qu’il tint, lors d’un voyage en Amérique du Sud au début de ce siècle, le serrant le plus souvent contre lui, ou le cachant dans les chambres d’hôtel – c’est à cette précaution qu’il doit de l’avoir conservé alors que tout le reste lui fut dérobé, au Nicaragua.

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L’Ankou

Quand Brest en Bulle a demandé à Emmanuel de réaliser l’affiche du festival 2014, les membres de l’association étaient loin d’imaginer le souvenir intime qu’ils ravivaient chez lui en formulant ce codicille : mettre en scène le vieux faucheur d’âmes.
Car il l’a rencontré ! C’était il y a vingt ans ou un peu plus, lors d’une escapade dans les Monts d’Arrée. L’idée était de faire découvrir notre terre de légendes à des amis belges, dont Jean-Philippe Stassen. La petite équipe décide de passer la nuit dans la chapelle Saint-Michel de Brasparts. Après une soirée conviviale agrémentée d’huîtres et de vin blanc, vint la nuit, une nuit de février, brumeuse à souhait, apte à refroidir les humeurs les plus joviales. Et vers quatre heures du matin, la porte s’entrouvrit dans un grincement sinistre…

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IMG_4480Encore habité par l’émotion, ses yeux pétillent au récit de cette expérience qu’il a dessinée en quatre planches pour le magazine Spirou.

Spirou ? Ankou ? Voilà qui nous mène naturellement à Jean-Claude Fournier, son mentor. Pour lui rendre hommage, Emmanuel a demandé au patriarche de la BD made in Breizh d’encrer la première case.

 

Les projets

Nous remontons à l’étage de l’atelier pour parler des projets en cours.
L’un est un récit de voyage dans l’Antarctique entrepris il y a un peu plus d’un an avec son frère François, photographe. L’autre tourne aussi autour du voyage, celui d’Ulysse, prénom que son fils partage, paraît-il, avec un héros célèbre.
Ulysse, justement, poursuit à sa table à dessin une fresque d’inspiration guerrière tandis que son père cherche sur son ordinateur des fichiers pour illustrer son propos.

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Un métier en pleine mutation

Notre entretien s’achève sur des considérations qui touchent à la profession. Selon notre hôte, une certaine conception de l’auteur de BD est morte ou en voie de disparition : celle d’un créateur qui vivrait uniquement de son travail d’auteur. Ni plus ni moins. La généralisation de la rémunération au forfait a en effet eu deux conséquences : elle force les dessinateurs à modifier leur technique pour tenir les cadences, et à chercher un revenu complémentaire pour s’assurer des conditions matérielles décentes. Parallèlement le 9e art tend à rejoindre d’autres plus cotés sur le marché de la vente d’œuvres originales, ce qui peut constituer un appoint très intéressant. Emmanuel l’a compris depuis longtemps, comme en témoigne sa collaboration avec Daniel Maghen.

Au moment de nous quitter, la discussion roule sur sa réputation de globe-trotter, largement exagérée selon lui. Il est vrai qu’avant de rallier Brest pour le festival, il se contentera de donner quelques cours de dessin à San Francisco. La porte à côté.

Véro & Malo