Piqué d’un chapelet de roses, le poitrail d’Ange Lucciani laisse éclater sa devise à la gueule du monde : « Tout me fait rire », annonce-t-elle crânement !

Il n’y a pas de plus clair message : ce Corse-là n’est pas un garçon très sage. Pour tout dire, son âme est celle d’un rebelle. C’est un coriace, une forte tête, un dur à cuire. Ses yeux ont l’éclat du glaive et la force de l’acier. Sous sa peau tatouée, on imagine des fleuves rouges, puissants et agités. Ils gonflent ses veines. A tout moment, l’homme au regard fier peut exploser !

Seulement voilà… La « Grande Muette » apprécie peu l’indiscipline de ses soldats et on l’a conduit aux fers. Son tempérament de feu a précipité l’Ange en Enfer.

© Delcourt

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« Dante n’avait rien vu », écrit Albert Londres après avoir mené son enquête à « Biribi »… Ce dernier terme, générique, désigne l’ensemble des centres disciplinaires établis en Afrique du Nord, après la défaite de 1870. Le Ministère de la Guerre y envoie en pénitence des milliers de pauvres bougres, réfractaires à son autorité ou simplement considérés comme « déviants ». Ils sont alors contraints aux travaux forcés, dans des conditions extrêmes. C’est dans l’un de ces camps, paumé au milieu du désert marocain, qu’Angel a été conduit sous bonne escorte.

© Delcourt

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Le néo-bagnard est aussitôt mis dans l’ambiance : un sévère passage à tabac lui enseigne que le « chaouch » a tous les droits et que tout sera fait pour le mettre au pas. Le problème avec Ange, c’est qu’il ne comprend pas ce langage-là… Faisant preuve d’une résistance exceptionnelle, il supporte les coups et les humiliations. Mieux que ça, il y répond !

Il clame haut et fort ses projets de grande évasion.

Alors, le sadisme des garde-chiourmes va crescendo, se déchaînant dans la violence et l’abomination. On fait subir au détenu les pires supplices : « crapaudine rouge », épreuves du « tombeau » et du « silo ». La chair brûle et suinte. Le corps semble rendre les armes, tandis que l’esprit s’est peut-être déjà fait la malle. Quelque part dans les sables, il se cherche un chemin…

Avec cet album, le premier d’une nouvelle série-concept initiée et dirigée par David Chauvel, Sylvain Ricard soulève le voile sur l’un des pans les plus sombres de notre histoire. Particulièrement sensible aux thèmes de l’exclusion et de la détention, il souligne avec force les conditions inhumaines des prisonniers envoyés à Biribi et la cruauté de leurs bourreaux. Bien sûr, le scénariste ne se contente pas de montrer la violence des uns et la déchéance des autres. Le récit est aussi gorgé de cette si belle chose… qu’on appelle l’espérance.

 

Au dessin, Olivier Thomas confirme tout le bien qu’on pensait de lui depuis Sans Pitié et Dos à la Mer. Son trait réaliste, associé aux couleurs torrides de Christophe Araldi, est très efficace. Il colle parfaitement aux personnages, dont il fait ressortir la rage et la douleur. Les paysages quant à eux s’assèchent et transpirent, dans d’immenses bouffées de chaleur. Ils attendent de voir passer l’Ange et son chapelet de fleurs…

Bert’

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